Article paru dans REEL n° 44
 
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© Françoise DONANT

Réel : Qu'est-ce que la danse-thérapie ?
Françoise Donant : C'est une démarche qui invite chacun d'entre nous à une expression dansée, où le corps et l'esprit renouent un dialogue riche en découvertes de soi. Cette expression peut se faire sous forme d'improvisations où l'écoute de ce qui vibre à l'intérieur donne naissance au mouvement le plus proche de notre ressenti.
Un travail très sensible est actuellement réalisé auprès de personnes psychotiques et polyhandicapées. Il donne ses fruits en terme d'éveil, de tonicité et de plus grande présence.
Réel : Quelle est votre spécificité ?
F.D. : L'expression sensitive réunit quatre mouvements :
- la danse primitive, qui consiste en une succession de mouvements symétriques reliant les opposés (haut et bas, gauche et droite) favorisant l'affirmation de soi,
- la bio danse d'Orlando Toro qui invite les personnes à se relier par la sensation et le toucher, renouant ainsi avec la notion de plaisir et de tendresse archaïque
- les 5 rythmes de Gabrielle Roth dont l'enchaînement est thérapeutique et libérateur
- les danses chamaniques de Anna Halprin qui s'inspirent des rituels des sociétés primitives.
Réel : Vos ateliers ont-ils des thèmes ?
F.D. : J'organise des ateliers porteurs d'un thème comme "Les dons et les cadeaux", "Les moissons de l'été", "Estime et affirmation de soi", "Savoir aider et se faire aider" ou "Oser la transformation".
Réel : Pourquoi "Les moissons de l'été" ?
F.D. : C'est un thème de l'automne, quand la nature nous a tout donné, que nous avons été en repos. Nous pouvons nous poser la question : "moi aussi, j'ai donné… qu'est-ce que j'ai retiré de mon été ?".
La danse qui nous viendra avec sa moisson d'émotions nous invitera à mettre des mots sur nos sensations et mieux comprendre ce que nous vivons en lien avec nos actions et nos relations. En tenant compte de la nature, des saisons, on se relie aux grands archétypes. "Les moissons de l'été", c'est tout ce qu'on a pu récolter symboliquement.
Réel : Que font les participants lorsqu'ils dansent "la récolte" ?
F.D. : Ils dansent les éléments de l'automne en faisant comme si… ils étaient une feuille qui se détache de son arbre, un arbre qui sent sa sève se retirer dans ses racines au début de l'hiver, un promeneur qui constate la fraîcheur nouvelle des petits matins… Cette première approche du thème nous conduit à l'exercice clef de voûte.
Réel : Quel est cet exercice clef de voûte ?
F.D. : C'est l'exercice phare. Situé en milieu d'atelier, il invite à une catharsis.
Réel : Cela veut dire ?
F.D. : Danser la récolte avec le goût, la sensation et l'émotion qu'elle provoque pour chaque danseur.
Réel : Que faites-vous de toutes ces sensations ?
F.D. : Après ce type d'improvisation, chaque personne prend un temps pour faire le lien entre ce fruit imaginé et la manière dont elle goûte et récolte les différents fruits présents ou non, dans sa vie. Est-ce que chacun récolte de ce qu'il a semé ? Mérite-t-il ce qu'il a récolté ? Est-ce que c'est trop, pas assez ? Avons-nous une démarche boulimique et sans saveur ? Il y a aussi des récoltes qui ont mauvais goût mais on les prend quand même par peur de manquer….
Réel : Quelle est votre grille d'approche pour les moments de parole ?
F.D. : Je me réfère aux concepts de la psychanalyse et de l'analyse transactionnelle.
Réel : Quel est l'exercice clef de voûte pour l'atelier " Dons et cadeaux " ?
F.D. : Un aspect de cet atelier tend à mesurer la valeur que l'on s'accorde. Une partie des personnes du groupe devient un cadeau, imagine lequel et s'installe parée de grands voiles, dans une danse de micro-mouvements. Les autres personnes pourront, si elles le souhaitent, partir à leur découverte, les "ouvrir" et les découvrir, dans une danse improvisée. Les impressions de tous sont ensuite partagées : étais-je un cadeau précieux ? Etait-ce si important d'être découvert ? Qu'est-ce que j'ai particulièrement apprécié ? Ai-je découvert les cadeaux que je désirais ? Etc..
Réel : Y a-t-il un suivi ? Les réponses sont-elles reprises ?
F.D. : Oui, les réponses sont reprises dans le grand feed-back de l'atelier qui se déroule une demi-heure avant la fin.
Je recommande aux personnes qui l'évoquent d'avoir un lieu où elles pourront faire le lien entre ce qui émerge dans les ateliers et les réminiscences du passé.
Réel : Votre travail est donc complémentaire d'une psychothérapie au long cours ?
F.D. : Cette approche est d'autant plus bouleversante qu'elle est douce et laisse émerger beaucoup d'éléments inconscients ou refoulés. Elle enrichit le travail de thérapie en apportant beaucoup de vécu.
Réel : Quel est l'exercice clef de voûte de votre autre atelier "Estime et affirmation de soi " ?
F.D. : Chacun danse avec l'ensemble du groupe comme miroir. Ensuite, toutes les facettes du miroir donnent un feed-back sur ce qu'elles ont vécu ; la personne peut donc considérer toutes ces facettes comme des aspects de sa propre personnalité. Cet exercice du miroir est renarcissisant.
Réel : Pourquoi ?
F.D. : Parce qu'être reflété par tout un groupe qui imite les gestes et l'intention du danseur permet de se voir avec du recul, magnifié par l'effet de groupe, et de manière bienveillante. C'est une manière de repasser par un stade du miroir qui aurait été mal vécu et mal intégré.
Les personnes souvent, s'approprient cet exercice avec une grande profondeur.
Réel : Quelqu'un de très inhibé peut-il venir à vos ateliers ?
F.D. : La danse n'est pas basée sur le regard. C'est déjà dés-inhibiteur pour chacun de savoir qu'il peut danser les yeux fermés. Un "danse-thérapeute" ne peut absolument rien juger de l'extérieur. Par exemple, il y a des personnes qui dansent avec peu de mouvements et qui vivent des choses absolument intenses et révélatrices. Quelqu'un qui aura été plus dans la démonstration corporelle ou émotionnelle, finalement aura peut-être vécu des choses moins importantes.
Réel : N'est-ce pas parfois trop émotionnel ?
F.D. : Qu'est-ce que vous entendez par trop ?
Réel : Et bien que la personne mette du temps ensuite à se reconstituer parce qu'elle a été trop émotionnellement brassée.
F.D. : Je prévois justement plusieurs temps d'intériorisation et de parole.
Réel : Pourquoi proposez-vous de danser un animal aquatique au fond de l'océan ?
F.D. : Quand j'évoque le thème de l'eau, je fais appel à tout ce qui est de l'ordre de la fluidité intérieure, corporelle, pour délier les tensions, assouplir intérieurement et rendre plus naturelle la rencontre.
Réel : Abordez-vous les quatre éléments ?
F.D. : Bien sûr. Je trouve important d'incarner des animaux pour exprimer, par exemple, une agressivité. Les félins aident à protéger notre territoire, à vivre les pulsions jugées mauvaises par la société. Dans un atelier nous pouvons les vivre en les transformant, plutôt que trop les intérioriser et les laisser nous ravager. A travers la puissance et la noblesse du lion, et du guépard nous recontactons notre propre puissance.
Réel : Mais la loi interdit de manger l'autre.
F.D. : Plus les interdits sont éloignés de nous par tabou et refus inconscient d'y toucher, plus nous risquons des passages à l'acte comme le montre la violence sociale actuelle. Autoriser un passage à l'acte symbolique nous permet d'élaborer autour de ces émotions qui nous font peur mais qui nous relient au monde et à nous-mêmes et qui, une fois apprivoisées, sont nos meilleures amies. Où pouvons nous sentir cela dans la vie ? Danser c'est aussi une manière d'avoir plusieurs vies…
Réel : Dans vos ateliers, n'êtes-vous pas trop près de la nature et de l'imaginaire ?
F.D. : Quel serait le risque d'être trop près ?
Réel : D'être dans l'imaginaire !
F.D. : C'est de l'imaginaire que nous allons vivre et élaborer de façon symbolique, ce qui n'est pas pareil. C'est grâce à cette élaboration que nous ne passons pas à l'acte, que nous nous pouvons tenter une vraie parole sur ce que nous vivons.
Réel : Vous semblez tenter une réconciliation des deux versants de la personnalité !
F. D. : Par exemple entre clarté et confusion. À l'intérieur de nous il y a une partie qui est souvent claire et qui va à l'essentiel et puis il y a l'autre partie qui est complètement confuse, qui se perd et se noie. A travers deux danses différentes, chacun explore l'un et l'autre versant, puis, dans une troisième danse, il peut se trouver dans ce qu'il est réellement par rapport à ces deux polarités.
J'aborde aussi le donner et le recevoir. Comment se trouver dans deux versants d'une même polarité dont l'une est souvent dévalorisée ?
En proposant d'incarner nos propres contradictions, j'invite à découvrir un équilibre qui fait du sens par rapport à ce que nous sommes et vivons.
Toutefois, pour vraiment approcher cette démarche de la danse-thérapie en expression sensitive, je vous propose de venir la vivre de l'intérieur ! vous goûterez ainsi tout ce qu'elle peut avoir de ludique et dont j'ai finalement peu parlé même si cela transparaît au détour des mots si sagement alignés…

 
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